La Suisse s'apprête à sanctionner deux de ses plus grandes fortunes
2 mars 2022
Deux places pourraient se libérer d'un coup dans le classement des dix plus grandes fortunes de Suisse. Après avoir adopté les premières sanctions européennes, lundi 28 février, le Conseil fédéral doit maintenant appliquer de nouvelles mesures visant Guennadi Timtchenko, cinquième fortune du pays, et Alisher Ousmanov, classé dixième. Mais à nouveau, la décision tarde. Cet article est en libre accès.
"Même la Suisse", soulignait le président américain Joe Biden dans son discours sur l'état de l'Union mardi 1er mars. La veille, en effet, la Suisse avait rejoint le concert des nations occidentales en adoptant - bien qu'avec cinq jours de retard - les sanctions de l'Union européenne à l'encontre de dizaines de dignitaires russes.
Ce retournement de la Suisse, qui se disait jusque-là retenue par sa neutralité, avait fait les gros titres de la presse internationale. "L’attaque militaire sans précédent perpétrée par la Russie contre un État européen souverain a incité le Conseil fédéral à modifier sa pratique actuelle en matière de sanctions", affirmait alors le gouvernement.
"Le Conseil fédéral adopte toutes les sanctions de l'UE contre la Russie", se félicitait alors la Tribune de Genève, précisant que le collège avait désormais "décidé de suivre toutes les sanctions décidées par l'Union européenne".
Pas si simple. Car la Suisse n'en a pas fini pour autant avec le rouleau compresseur des sanctions internationales. En réalité, la décision du 28 février portait uniquement sur les "paquets de sanctions" prononcés par l’UE le 23 et le 25 février. Ceux-ci visaient notamment le président russe Vladimir Poutine, le Premier ministre Mikhaïl Mishustin et le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov.
Or, le jour même de l'annonce suisse, Bruxelles renforçait encore son étau avec une troisième salve de sanctions. Et celle-ci s'annonce plus douloureuse pour la Suisse. En tête des nouvelles cibles figurent en effet trois oligarques multi-milliardaires: Mikhaïl Fridman, Guennadi Timtchenko et Alisher Ousmanov. Et les deux derniers, officiellement résidents suisses, figurent parmi les plus grandes fortunes du pays.
Bienfaiteur de la culture?
Guennadi Timtchenko, fondateur de la société de négoce Gunvor, est classé au cinquième rang des plus riches du magazine Bilan avec une fortune estimée entre 21 et 22 milliards de francs. Ce montant le place juste devant la famille Blocher. Plus conservateur, le magazine Forbes le place à 17,7 milliards de dollars sur la balance, soit 15 milliards de francs.
A Genève, Guennadi Timtchenko est surtout connu pour sa Fondation Neva, qui a financé une centaine d'événements culturels en Suisse depuis sa création en 2008. Or les sanctions à l'encontre du fondateur pourraient mettre un brusque coup d'arrêt à ces activités. Selon la Tribune de Genève, le Verbier festival aurait déjà décidé de se passer des financements de la fondation qui était pourtant un de ses principaux sponsors.
La directrice de la Fondation Neva, Delphine Duchosal, n'a pas répondu aux questions de Gotham City. La société de communication mentionnée sur le site internet de la fondation dit qu'elle ne la représente plus "depuis longtemps".
Alisher Ousmanov, touché
Le second oligarque visé par les sanctions européennes du lundi 28 février est Alisher Ousmanov, richissime patron du groupe USM Holdings. Ce citoyen russe et ouzbek se serait installé dans le canton de Vaud en 2016, bien que le lieu exact de sa résidence reste pour l'heure un mystère. Il figure en dixième place du classement de Bilan avec une fortune estimée à 15 milliards de francs.
Président de la Fédération internationale d’escrime depuis 2008, Alisher Ousmanov s'est retiré de son poste, mardi 1er mars, suite aux sanctions européennes. Pas de chance: il avait été réélu par acclamation à Lausanne par sa fédération en novembre 2021 pour un quatrième mandat.
La Suisse se calera-t-elle à nouveau sur les sanctions européennes, ordonnant ainsi le blocage des avoirs de deux de ses plus riches résidents? Interrogé par Gotham City, le Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco) répond que l'application des sanctions européennes du 28 février sera à nouveau soumise au Conseil fédéral, dont la prochaine réunion est prévue le vendredi 4 mars.
Ce nouveau délai surprend ceux qui s'attendaient à une reprise désormais rapide des nouvelles mesures européennes. C'est le cas de la conseillère nationale Brigitte Crottaz (PS/VD), qui a adressé la question suivante au Conseil fédéral, mercredi 2 mars.
"L’Union européenne a mis les oligarques russes Guennadi Timtchenko et Alisher Ousmanov, résidant en Suisse et respectivement cinquième et dixième fortunes de Suisse, sur la liste des sanctions. Le Conseil fédéral a-t-il repris les sanctions contre ces deux oligarques et depuis quand? Le retard du Conseil fédéral à prendre les mesures à leur égard n’a-t-il pas favorisé la fuite de leurs avoirs sous d’autres cieux pour échapper aux sanctions?"
Sous couvert d'anonymat, un avocat proche de Guennadi Timtchenko indique à Gotham City que ce dernier conteste les informations utilisées pour justifier sa mise sous sanction, et qu'il réclamera la levée de ces mesures auprès des autorités européennes et suisses, si elles venaient à les appliquer.