Enquête historique

Dans les pas de Robert Leclerc, gentleman fraudeur

Il y a quarante ans, le patron de la banque Leclerc était condamné pour fraude après un procès retentissant. Deux de ses collaborateurs avaient été retrouvés morts. Une affaire sulfureuse, dont personne, à Genève, ne veut se souvenir.

Par Marie Maurisse

Sa tombe est couverte de mousse. Dans le petit cimetière de Vandoeuvres, Robert Leclerc passe inaperçu, aux côtés des stèles de plus grandes familles genevoises. Borel, Trembley, Bordier… Il faut gratter un peu pour que le nom de cet ancien banquier, inhumé près de son fils, apparaisse enfin. Qui penserait, que de son vivant, l’ancien banquier a suscité l’un des plus grands scandales de la fin du XXe siècle?

La mémoire collective est si courte. Au fil des années, les souvenirs de cet homme charismatique et charmeur, mais aussi des millions envolés, se sont estompés. Robert Leclerc fut l’un des premiers banquiers suisses à purger une peine de prison. En 1985, la Cour d’Assises de Genève l’a condamné pour fraude. Ce procès, qui a eu lieu il y a bientôt 40 ans, a fait trembler la petite République en son cœur. Car c’était l’un des siens, un protestant élevé dans le sérail, qui avait fauté.


Robert Leclerc fut l’un des premiers banquiers suisses à purger une peine de prison


La plupart des protagonistes de cette histoire ont disparu. Le juge d’instruction, l’avocat, le policier. Tous sont morts. Gotham City a voulu retracer les faits. Pour cela, nous avons relu les articles de l’époque, eu accès aux documents de justice et parlé aux témoins encore en vie. Pour la première fois, cette liste révèle le nom des victimes de la faillite de la banque Leclerc.

Ce récit nous plonge surtout dans une tout autre époque, celle de la Genève des années 70, quand les facteurs portaient des costumes trois-pièces et que les clients français venaient placer leur fortune sans s’en cacher. Les avocats de la place étaient flamboyants et Bernard Bertossa n’avait pas encore lancé son "appel de Genève".

Deux morts mystérieuses marquent le début d'un scandale financier qui va secouer Genève

C’est dans le sang que cette histoire commence. Celui de Bertrand de Muralt, retrouvé mort à son domicile le dimanche 8 mai 1977. Il était âgé d’à peine 42 ans. Dans un petit hommage, le Journal de Genève le décrit comme un homme consciencieux, entré à la Banque de L’Harpe après des stages chez Rothschild à Genève et New York. Comme la grande majorité des banquiers d’alors, il s’était aussi illustré dans l’armée, comme major dans un régiment de char. Dans le quotidien genevois, ses amis de la Société militaire soulignent son "sens aigu de l’honneur".

A côté de sa dépouille, les policiers découvrent une arme de poing. Les blessures à la tête ne laissent pas de doute: Bertrand de Muralt s’est donné la mort. Pourquoi ce père de trois enfants a-t-il commis l'irréparable? L’explication est à trouver dans les ennuis que connaissait la banque dont il était associé depuis une dizaine d’années, Leclerc & Cie. Voilà plusieurs années que l’établissement connaît des soucis de liquidités, parce qu’un autre de ses associés, Robert Leclerc, puise dans le capital.

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