Le fisc genevois réclame 100 millions de francs à un magnat Indonésien
10 février 2021
Hashim Djojohadikusumo avait fait fortune en revendant sa société pétrolière en 2006 alors qu'il résidait à Anières. L'Etat de Genève le poursuit aujourd'hui, avec son épouse, pour plus de 100 millions de francs d'arriérés d'impôts. Une manne pour les caisses publiques... si le fisc parvient un jour à la récupérer. Classé 40ème fortune d'Indonésie, l'entrepreneur dit avoir tout perdu, notamment en finançant la campagne électorale de son frère Prabowo Subianto, aujourd'hui ministre de la Défense d'Indonésie.
Chez Hashim Djojohadikusumo, il y a le côté pile et le côté face. En Indonésie, la presse ne tarit pas d'éloges sur les talents de cet entrepreneur actif dans l'huile de palme, l'exploitation minière, la logistique, la culture de perles et l'exportation de homards.
Les Djojohadikusumo sont issus d'une dynastie influente de Jakarta proche de l'ancien dictateur Suharto. Son frère aîné, l'ancien lieutenant général Prabowo Subianto, s'était présenté aux élections présidentielles en 2014 puis une seconde fois en 2019 sous le slogan "Make Indonesia Great Again". Il est aujourd'hui ministre de la Défense de l'Indonésie.
Hashim, lui, a fait carrière dans les affaires, tout en soutenant financièrement les campagnes de son frère.
La presse indonésienne avait consacré des dizaines d'articles au dernier classement Forbes, publié en décembre 2020, qui hissait l'homme d'affaires au 40ème rang des plus riches du pays avec une fortune estimée à 685 millions de dollars . "Jetez un œil à la richesse de Hashim Djojohadikusumo, le jeune frère du ministre de la Défense Prabowo", titrait le quotidien Kompass.
Pourtant, au même moment, Hashim Djojohadikusumo racontait une toute autre histoire face à la justice genevoise. Il assurait être couvert de dettes, et que lui comme ses sociétés étaient désormais insolvables.
A l'en croire, sa situation se serait dégradée suite à la crise financière de 2008 et encore aggravée entre 2014 et 2016. A tel point, expliquait-t-il l'an dernier face à la justice genevoise, que ses entreprises n'auraient désormais "plus aucune substance".
Pour ne rien arranger, Hashim Djojohadikusumo et son épouse auraient divorcé en 2019, ce qui compliquerait encore un peu plus leur situation patrimoniale.
Les juges de la chambre administrative de la Cour de justice de Genève n'ont pas cru un mot de tout cela. Dans un arrêt rendu le 23 juin 2020, le tribunal a confirmé un séquestre fiscal de 139 millions de francs prononcé à son encontre, correspondant à des arriérés d'impôts et des amendes accumulés à Genève depuis 1999.
La Cour a retenu qu'il n'était "pas possible de retenir la preuve d'une situation d'insolvabilité durable" de l'intéressé. Le Tribunal fédéral (TF) a confirmé ce jugement dans un arrêt rendu public le 4 février 2021.
Hashim Djojohadikusumo et son épouse Anie s'étaient installés à Genève en 1999. "Exilé à Genève", le couple fréquentait alors la bonne société, comme lors de cet "événement mondain" décrit par Le Temps en 2005, patronné par des banquiers et "des magistrats de la Ville".
A cette époque, Anie et Hashim Djojohadikusumo étaient déjà dans le collimateur du fisc. En 2004, le Conseiller fédéral Hans-Rudolph Merz avait même autorisé une enquête de la Division des affaires pénales et enquêtes (DAPE) à leur encontre sur des "soupçons fondés de soustraction continue de montants importants d'impôts". En parallèle, l'administration fiscale genevoise avait également ouvert une procédure de rappel d'impôt.
Mais en décembre 2006, le couple plie soudainement bagages. Un mois plus tôt, le fonds d'investissement chinois CITIC Group avait annoncé le rachat de la société pétrolière de Hashim Djojohadikusumo, Nations Energy Co. Ltd, pour 1,9 milliard de dollars. Nouvelle destination des heureux contribuables? La Grande-Bretagne.
Le fisc genevois n'a pas apprécié la manoeuvre. Dès 2010, les bordereaux d'amendes se mettent à pleuvoir sur les époux, qui disposent toujours d'une villa à Anières estimée à environ 20 millions de francs. Dans un premier temps, l'autorité exige plus de 25 millions aux titres de l'impôt fédéral direct et l'impôt cantonal et communal, rien que pour les années 2001 et 2002.
Les Djojohadikusumo se lancent alors dans une succession de recours, souvent sans succès. Au 31 décembre 2015, leurs dettes fiscales se montaient à 86 millions de francs. Avec les amendes et les intérêts, la somme atteint les 100 millions.
En 2017, le fisc genevois a prononcé des séquestres à l'encontre des deux contribuables pour un montant total de 139 millions de francs. Ces mesures ont été validées par le Tribunal fédéral fin 2018.
Depuis lors, les époux tentent de convaincre l'administration et la justice suisse qu'ils sont insolvables, et que la somme en question ne peut pas leur être réclamée.
Hashim Djojohadikusumo affirme notamment avoir englouti 420 millions de dollars de sa fortune personnelle pour renflouer l'entreprise de son frère aujourd'hui ministre et pour financer ses campagnes électorales.
La Cour de justice ne s'est pas laissée convaincre, estimant qu'il n'était "pas possible de retenir que la preuve que cette dépense a été faite".
Le tribunal ne s'est pas non plus laissé émouvoir par la séparation supposée des Djojohadikusumo. L'administration fiscale avait remarqué que "le jugement de divorce produit n'était pas muni d'un sceau officiel".
De même, notait le fisc, "il ressortait des nombreuses photographies et vidéos disponibles sur internet, postérieures à leur séparation alléguée, que les recourants étaient toujours en couple aussi bien dans leur vie publique que privée, notamment le 23 janvier 2020, lors de leur anniversaire de mariage."
Les avocats de Anie et Hashim ont rétorqué qu'Anie Djojohadikusumo était une "fervente catholique pratiquante pour qui le mariage ne pouvait être dissous que par la mort" et qu'elle "s'estimait probablement encore mariée sans préjudice de son état civil".
Anie Djojohadikusumo aurait ainsi "contraint le recourant à apparaître avec elle lors de divers événements publics après leur séparation de fait".
L'administration fiscale estimait qu'en "se prévalant à un stade aussi tardif de la procédure de leur séparation de fait, les recourants tentaient de créer une situation qui avait pour seule finalité d'échapper aux impôts qu'ils devaient selon l'arrêt du Tribunal fédéral."
Pas de chance, encore, au sujet des difficultés économiques rencontrées par Hashim Djojohadikusumo et ses sociétés. "La prétendue diminution de valeur d'actifs mondiaux d'un richissime homme d'affaires ne saurait être assimilée à une situation de surendettement", tranchait le fisc.
L'arrêt note également que "le magazine Forbes avait classé Hashim Djojohadikusumo au 35ème rang des personnes les plus riches d'Indonésie" en 2017 et que "les contribuables étaient toujours représentés par des avocats réputés, qui fonctionnaient peu probablement à découvert".
Se tournant vers le Tribunal fédéral pour contester cette décision, les époux ont cette fois sollicité l'assistance judiciaire. Cette aide leur a été refusée dans un arrêt rendu le 22 janvier 2021 qui les a débouté sur l'ensemble de leurs griefs.
Anie et Hashim Djojohadikusumo sont représentés par Thierry Ador et Michel Cabaj chez Ador & Associés.
Interrogés par Gotham City, les deux avocats rappellent que "la question de l'insolvabilité en lien avec une procédure fiscale relève d'un large pouvoir d'appréciation des autorités compétentes. En cas de situation patrimoniale internationale complexe, une telle démonstration ne peut que difficilement être établie, d'autant que l'instruction doit être menée à l'échelon de l'administration fiscale. Il est regrettable que la procédure ne l’ait pas relevé."
Documents liés à cet article:
Tribunal fédéral - Arrêt du 22 janvier 2021
Chambre administrative de la Cour de justice - Décision du 23 juin 2020