Gotham City obtient gain de cause face à un trader genevois

27 janvier 2021

Le trader turco-suisse Yomi Rodrik, établi à Genève, tentait d'interdire à Gotham City de révéler le fait que son nom était apparu dans une enquête américaine sur un réseau de délit d'initié. La Cour de justice de Genève l'a débouté, estimant que cette information était d'intérêt public.

Jusqu'où faut-il poursuivre les bénéficiaires de "tuyaux" illicites échangés de traders en traders, parfois à l'insu les uns des autres? La question avait fait trembler loin à la ronde lors de l'inculpation de Telemaque Lavidas aux Etats-Unis en octobre 2019.

Fils du directeur d'une société pharmaceutique, Lavidas avait fourni des informations secrètes à Georgios Nikas, trader et propriétaire d'une chaîne de restaurants grecs à New York. Ce dernier, lui-aussi poursuivi, est accusé d'avoir bénéficié de ces tuyaux et de les avoir partagés dans le cadre d'un réseau international de délits d'initiés. 

Selon le Département américain de la justice (DOJ), Nikas aurait réalisé 6,5 millions de dollars de profits grâce aux informations fournies par Lavidas concernant l'entreprise Ariad Pharmaceuticals

Lavidas a écopé d'un an et demi de prison en janvier 2020. La procédure se poursuit contre Nikas, qui serait aujourd'hui réfugié en Grèce.

Problème: les bons tuyaux de Telemaque Lavidas ne se sont pas arrêtés à son ami Georgios Nikas. Toujours selon le DOJ, ce dernier aurait à son tour passé les informations secrètes à un réseau international de traders, qui auraient eux-même réalisé environ 8,5 millions de dollars de profits.

A ce jour, les bénéficiaires en aval de Giorgios Nikas n'ont pas été poursuivis en justice. Mais les noms de certains d'entre eux ont été révélés dans un document produit par le DOJ en décembre 2019 dans le cadre du procès de Telemaque Lavidas.

Parmi eux figurait celui du trader genevois Yomi Rodrik et de ses sociétés Compania International Financiera SA et Coudree Capital Gestion SA, aujourd'hui dissoute.

Or ces deux sociétés et leur propriétaire avaient déjà fait l'objet de poursuites de la Securities and Exchange Commission (SEC) pour délit d'initié en 2011. Le gendarme des marchés avait abandonné ces charges un an plus tard, citant la difficulté d'accéder aux preuves.

En janvier 2020, Yomi Rodrik a lancé des procédures de mesures superprovisionnelles et provisionnelles à l'encontre de Gotham City pour empêcher la publication d'un article et du document faisant apparaître son nom dans le cadre de l'enquête contre Telemaque Lavidas.

Ces mesures visaient à interdire à Gotham City de "mentionner l'identité de Yomi Rodrik et de sa société dans le cadre de toute publication relative à l'enquête américaine pour délit d'initié".

Le Tribunal de première instance de Genève a rejeté cette requête en mai 2020, notant que les anciennes poursuites avait été "abondamment exposées" dans la presse internationale, que Yomi Rodrik et sa société jouissaient "d'une certaine notoriété dans le monde financier, liée notamment aux enquêtes dont ils ont fait l'objet aux Etats-Unis", et qu'une "simple recherche" sur internet permettait "aisément de s'en rendre compte".

Yomi Rodrik a contesté cette décision devant la Chambre civile de la Cour de justice de Genève, estimant que la publication d'un article le mentionnant dans le contexte de l'affaire Lavidas lui causerait un "préjudice particulièrement grave, sans qu'aucun intérêt public ne le justifie".

Yomi Rodrik et Compania International Financiera SA ont été déboutés dans un jugement rendu fin août 2020. "Il existe vraisemblablement un intérêt public à ce que les professionnels actifs dans le domaine de la finance et de la criminalité économique aient connaissance de ces informations, qui sont susceptibles de leur éviter de commettre des faux pas dans leur activité professionnelle", estimait la Cour. 

"Cet intérêt public existe indépendamment de la question de savoir quelle est l'ampleur de la notoriété dont les appelants bénéficient dans le monde financier. En effet, les informations en question sont utiles aux personnes qui peuvent être amenées à traiter professionnellement avec eux, afin qu'ils soient à même d'évaluer la situation en toute connaissance de cause."

L'arrêt de la Cour de justice est entré en force fin octobre 2020.

Yomi Rodrik et Compania International Financiera SA étaient représentés par Romain Jordan chez Merkt & Associés. Il n'a pas répondu à nos messages.

Gotham City était défendu par Nicolas Capt et l'étude Quinze Cours des Bastions. Ce dernier "se félicite de la reconnaissance, par la Cour de justice, de l’intérêt public qui gouvernait la publication contestée".

A noter que l'avocat américain de Telemaque Lavidas, Jonathan R. Streeter, a lui aussi tenté d'empêcher la production de la liste des "bénéficiaires en aval" des informations secrètes par le Département de la justice.

"L'acte d'accusation ne prétend même pas que M. Lavidas avait connaissance de l'existence d'autres bénéficiaires, expliquait-il . De plus, rien dans les millions de pages du dossier ne suggère que M. Lavidas a autorisé ou savait que Nikas partageait des informations avec d'autres personnes. La portée de la conspiration (...) entre M. Lavidas et Nikas n'englobait pas la divulgation d'informations privilégiées à des personnes inconnues et éloignées. Si Nikas partageait des informations, il l'a fait à l'insu de M. Lavidas et sans son autorisation."

Sa demande a été rejetée par la Cour fédérale du District sud de New York peu avant la condamnation de son client.

Documents liés à cet article:
Cour de justice de Genève - Arrêt du 31 août 2019
USA v. Telemaque Lavidas - Exhibit C (11.12.19)
USA v. Telemaque Lavidas - Government motion (16.12.19)


Droit de réponse

Le 6 avril 2021, Yomi Rodrik a sollicité la parution du droit de réponse suivant:

"La procédure concernant M. Yomi Rodrik mentionnée dans le présent article a fait I’objet d’une ordonnance superprovisionnelle du Tribunal de première instance ordonnant a Fiatlux Sàrl, Francois Pilet et Marie Maurisse, sous la peine menace de I’art. 292 CP:

  • d'anonymiser I'identité de Yomi Rodrik et celle de ses sociétés dans l''article "Délit d'initié: un collectionneur d'art français exposé aux Etats- Unis" du magazine en ligne Gotham City France, y compris de ses archives;
  •  d'intervenir auprès des moteurs de recherche pour faire immédiatement supprimer l'information "RODRIG" et "COUDREE" des moteurs de recherche, y compris cache et index;
  • de ne pas mentionner I'identité de Yomi Rodrik ou de ses sociétes dans le cadre de toute publication relative a I’enquête américaine pour délit d'initié dont il est question dans l'article précité.

L’ordonnance provisionnelle révoquant ultérieurement celle-ci a été confirmée par arrêt de la Cour de justice du 31 aout 2020.

Dans ce cadre, la Cour de justice a reconnu que la mention figurant dans l’article publie par Gotham City - selon laquelle M. Yomi Rodrik et ses sociétés étaient désignés comme des "protagonistes" mentionnés dans le sillage de la condamnation de Télémaque Lavidas" - était "vraisemblablement inexacte".

M. Yomi Rodrik et ses sociétés ne sont pas et n'ont jamais été cités dans le document du DOJ comme étant des "bénéficiaires" des "bons tuyaux de Télémaque Lavidas".

Ni M. Yomi Rodrik ni ses sociétés ne sont à un quelconque titre impliqués dans la procédure pénale menée aux Etat-Unis".

Gotham City maintient sa version des faits sur la base des documents publiés dans cet article.